Société
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Le Grand Paris se rêve en piscine

Bassin de la Villette / © Jean Fabien Leclanche pour Enlarge Your Paris

Le 17 juillet, le bassin de la Villette inaugurera trois espaces qui permettront de piquer une tête dans le canal. Un premier acte qui signe le retour de la baignade en eau vive alors que celle-ci est interdite dans la Seine à Paris depuis 1923.

 

« Au début les gens nous applaudissaient quand on piquait une tête dans le canal. Certains osaient nous rejoindre. Maintenant, ils y vont tous seuls. »  Il est 21h, un soir de canicule, et Jérémy  a revêtu son costume de militant : le maillot de bain. Ce co-fondateur du Laboratoire des Baignades urbaines expérimentales, une association qui promeut la baignade libre, vient de s’offrir un plongeon dans le canal de l’Ourcq, au niveau de l’écluse du canal Saint-Denis. Avec les autres laborantins, c’est leur nouveau spot de baignade, « plus tranquille que le bassin de la Villette », très fréquenté les jours de forte chaleur. Certains soirs de juin, on y a vu des dizaines de baigneurs sautant des passerelles ou faisant des longueurs. Une scène impensable il y a encore un an. Preuve que les mentalités changent, et que le Labo, qui plaide depuis des années pour l’ouverture du droit à la baignade sauvage, a bien fait son travail.

Le 17 juillet, la mairie de Paris doit justement ouvrir une zone surveillée dans le basssin de la Villette (19e), à deux pas des cinémas MK2. Les nageurs auront ainsi accès à deux bassins en eaux profondes, tandis qu’un troisième espace sera réservé aux enfants. Alimenté par la Vanne et le Loing, deux affluents de la Marne, le bassin de la Villette présente une qualité d’eau exemplaire. « Nous réalisons trois prélèvements par jour. C’est comme cela que nous avons réussi à convaincre les autorités sanitaires, d’autoriser la baignade, indique Christophe Ribet, qui travaille au côté de Célia Blauel, adjointe au maire chargée de l’Environnement. Nous ferons de la pédagogie auprès des Parisiens pour qu’ils comprennent le cycle de l’eau, et apprennent à appréhender la baignade en milieu naturel. Nous devons aussi sensibiliser les fêtards du week-end. Le samedi matin, le canal est une poubelle. »  

Il va aussi falloir gérer un très probable succès du bassin. « Les autorités sanitaires nous ont autorisés un quota de mille baigneurs par jour, au maximum trois cents en même temps. Comment allons-nous gérer les pics de chaleur ? On risque de voir les gens se baigner partout si le bassin autorisé est plein. » Pourquoi mille baigneurs ? Car d’après l’Agence régionale de Santé, au-delà de ce chiffre, ce sont les nageurs qui créent un risque de pollution.

Les baignades en ville, lubie de bobo ?

Avec la Villette, Paris se met au diapason de nombreuses autres villes où l’on se se baigne déjà. A Londres et Berlin, les projets d’infrastructures se multiplient. Ailleurs, on n’a jamais arrêté de se baquer, comme à Bâle, où a lieu chaque année en août la Rheinschwimmen. Des centaines de nageurs se jettent à l’eau pour faire un parcours de 2 km en pleine ville. Les images de cet événement sont massivement utilisées par les promoteurs du droit à se baigner, qui, un peu partout, commencent à avoir l’oreille des élus. C’est clairement le cas du Laboratoire des baignades urbaines expérimentales, qui a influencé la politique parisienne en la matière.

 

Les membres du Labo connurent leur baptême médiatique en 2013 grâce à un petit reportage autoproduit sur Arte radio, en 2013. En 2015, Libération leur consacra une double page, que Célia Blauel glissa sous les yeux d’Anne Hidalgo. “Ça a ouvert les yeux de la maire sur le sujet des baignades en ville”, assure-t-on au Labo.

Le premier endroit où les laborantins se sont baignés, ce fut devant la base nautique de l’Ile de Monsieur, entre Sèvres et Boulogne (92). “On était en pleine nuit, au mois d’octobre 2012. On venait de quitter une soirée, on ne savait pas quoi faire. On se retrouve devant la Seine. Et là, tout d’un coup, on se jette à l’eau.” L’été suivant, en vacances à Amsterdam puis en Hongrie, ils ont constaté que des gens se baigner dans les canaux et dans le Danube. “On s’est dit qu’on voulait la même chose à Paris. On s’est alors demandé pourquoi la baignade y était interdite, et depuis quand. Nous avons fait un vrai boulot d’enquête. Puis on a créé notre petite assoc’, multiplié les baignades pour notre plaisir, et pour faire valoir le droit à se baigner librement.

Un « droit à la baignade » qui peut recouvrir différentes aspirations. Se rafraîchir les jours de canicule, compenser le trop faible nombre de piscines municipales, se « réapproprier » les biens communs que sont les fleuves, aujourd’hui principalement utilisés pour le commerce et le tourisme.

 

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Bassin de la Villette / © Jean Fabien Leclanche pour Enlarge Your Paris

 

Les enjeux dépassent largement le cadre des loisirs. « Pour nous, ce qui se joue c’est l’adaptation de Paris au changement climatique, explique Christophe Ribet, au cabinet de Celia Blauel. On le voit avec le détournement des bouches à incendie à chaque épisode caniculaire. Il faut créer des points de fraîcheur. » C’est pour cela que la mairie de Paris a testé les brumisateurs géants, prévoit la mise en place de plus de quarante nouvelles fontaines et s’apprête à tester dès l’an prochain un nouveau bitume qui limite la restitution de la chaleur emmagasinée dans la journée.

Le bassin de la Villette n’est donc qu’une première étape. Christophe Ribet déroule le programme. « En 2017, nous ouvrons la Villette. Et en 2019, on pourra se baigner dans un bassin creusé dans le lac de Daumesnil dans le bois de Vincennes. Créé sur le modèle des piscines naturelles, ce bassin de 150 mètres de longueur par 30 mètres de largeur sera phyto épuré grâce à un système de graviers et de plantes. Mais le rêve de tout parisien, c’est de donner enfin raison aux prédictions de Jacques Chirac sur la baignade dans la Seine. » Un rêve qui pourrait s’accélérer si Paris obtient les JO en 2024. La Seine servirait alors de cadre aux épreuves de triathlon et de natation en eau libre. On l’a vu encore récemment, le fleuve est au cœur du plan de communication parisien, et Anne Hidalgo joue à fond la carte olympique pour relancer la tradition, éteinte depuis 50 ans, de la baignade dans la Seine. Pour Jérémy, du Laboratoire des baignades urbaines expérimentales, « le 13 septembre [date d’attribution des JO de 2024, Ndlr] va décider si la Seine sera bientôt baignable ou pas. »

Les JO, un accélérateur de la baignade dans le Grand Paris

C’est dans ce contexte que l’APUR (Agence d’urbanisme de la ville de Paris) a produit une étude consacrée à la baignade dans la Seine et la Marne. « Notre lettre de mission était de lister les lieux de baignade possible dans la Seine et la Marne, dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques. Avec l’idée que la baignade dans la Seine soit un héritage des JO », détaille Frédéric Bertrand, qui a piloté la rédaction de l’étude. 

L’APUR a pré-sélectionné 49 sites. Une quinzaine sont des sites “historiques”, où l’on se baignait depuis des siècles avant que ne tombent les interdictions, en 1923 pour la Seine et en 1970 pour la Marne. « Nous avons été attentifs à la question de l’accessibilité pour que les lieux de baignade soient à la fois atteignables en transports en commun et praticables pour les personnes à mobilité réduite. Nous avons aussi été attentifs à la question de l’ensoleillement. » Autre point crucial, la sécurité. « La brigade fluviale nous a dit combien la baignade en eaux libres était dangereuse. Beaucoup de baigneurs imaginent qu’il est simple de nager dans la Seine alors que c’est un milieu très particulier, qui change tout le temps, où le courant est fort. » Dans ce contexte, l’APUR recommande pour l’intra-muros des piscines sur les bords du fleuve, voire sur les quais.

Bassin de la Villette / © Jean Fabien Leclanche pour Enlarge Your Paris

 

Reste un autre point important. Les fleuves ne sont pas vides. Les projets de baignade ne doivent pas gêner les nombreux usagers – péniches, porte-conteneurs, bateaux-mouches, pompiers et brigade fluviale –  qui empruntent la Seine, et dans une moindre mesure la Marne. « Les images des baignades en ville à Bâle, à Zurich ou à Lyon ont été très médiatisées, note Frédéric Bertrand. Mais la métropole parisienne ne connaît pas la même situation. La Seine est un petit fleuve, avec tout autour une population très dense. Et un trafic fluvial important. »  Sous la tour Eiffel, on compte ainsi plus de 500 passages de bateaux par jour.

Pour faciliter la cohabitation, et mettre en place des sites de baignade pérennes, tous les acteurs du fleuve (Ports de Paris, Voies navigables de France, etc.), sont réunis au sein du « Comité Seine » avec la Métropole du Grand Paris, la mairie de Paris, la Région et l’Etat.

La guerre des WC

Côté pollution des eaux, les rejets industriels, qui étaient à l’origine des interdictions des années 60 et 70, ont quasiment disparu grâce à… la désindustrialisation. Désormais, reste à régler le problème des eaux usées, celles rejetées par les WC. «Si on peut ouvrir les baignades dès 2020, on le fera. Mais il reste beaucoup à faire pour nettoyer la Seine de ses pollutions bactériologiques, signale explique Christophe Ribet. Les rejets viennent des stations d’épuration, des bateaux mouches et des péniches. Mais la grosse part de la pollution, ce sont les rejets de maisons construites sur les bords de la Seine et de la Marne au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle. » Beaucoup d’entre elles ne sont pas, ou mal, raccordées aux réseaux d’assainissement. Et c’est un travail de longue haleine, fastidieux, comme le rappelle Christophe Ribet. « Il faut aller démarcher chaque propriétaire pour négocier de nouveaux raccordements. »

Enfin, il y a le problème des eaux de pluie. Aujourd’hui, en cas d’orage, le ruissellement transfère en quelques heures la pollution de l’air et des sols dans l’eau. Concrètement, le bassin de la Villette sera fermé après chaque orage. Un vaste et coûteux plan de création de retenue des eaux de pluie est par ailleurs en cours d’élaboration, qui n’a d’ailleurs pas comme objectif de permettre de se baigner dans les fleuves, mais de mettre la France aux normes européennes en matière d’environnement. 

Bassin de la Villette / © Jean Fabien Leclanche pour Enlarge Your Paris

 

La banlieue, territoire de baignade

De l’autre côté du périph’, les amateurs de baignades ne sont pas en reste. A Champigny (94), sur la Marne, entre l’île de l’Abreuvoir et la guinguette du martin-pêcheur, un panneau « interdit de se baigner » semble servir de point de ralliement. « Il y a déjà des centaines de lycéens qui se baignent tous les jours depuis la fin du bac.  Se baigner ici est une pratique multi-séculaire. Il est donc nécessaire d’en assurer la sécurité », témoigne Sylvain Berrios, député du Val-de-Marne, maire de Saint-Maur et vice-président de la Métropole du Grand Paris, institution désormais chargée de la gestion des eaux,  des milieux aquatiques et des risques d’inondation de 131 communes, dont Paris et la petite couronne.  

A ce titre, il co-organisait le 6 juillet avec le Syndicat Marne Vive le forum Objectif baignade, une grande journée de débats sur la baignade en ville. A l’écouter, les baignades sont plus qu’un loisir. Elles sont un révélateur de l’état de la société. « Se baigner démontre que l’on a réussi à régler tous les problèmes : propreté, utilisation des berges, utilisation industrielle des fleuves, réseaux de transport, mais aussi mise en place des plans d’urbanisme des communes. » Lyrique et historien, il pense que les sociétés qui ont perdu le lien avec l’eau ont toutes fini par disparaître. Optimiste, il table sur une généralisation de la baignade dans les bras de la Marne et de la Seine d’ici à 2024. 

Comme le rappelle Pierre, du Laboratoire des baignades urbaines expérimentales, « si la baignade en Seine a fait les belles heures de la capitale au début du XXe siècle, avec notamment les concours de plongeons sous la tour Eiffel, c’est extra-muros que l’on trouve à cette époque les meilleurs endroits pour se baigner, ainsi que les premiers aménagements pérennes pour profiter des rivières et des fleuves franciliens. » D’Ivry-sur-Seine (94) à Meaux (77), de Champigny-sur-Marne (94) à Ris-Orangis (91) en passant par l’Isle-Adam (95) et Corbeil-Essonnes (91), les bains flottants, les baignades municipales ou les nombreuses plages de sable fin permettent en théorie la pratique de la baignade. Reste maintenant à savoir quand.