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Montreuil, patrie des éditeurs indépendants

Librairie Folies d'encre à Montreuil / © Nicolas Moulard
Librairie Folies d’encre à Montreuil / © Nicolas Moulard

Si Montreuil est le berceau du Salon du livre jeunesse, qui se tient jusqu'au 4 décembre, elle est aussi la deuxième ville en France qui compte le plus d'éditeurs indépendants par habitant.

 

C’est une réalité peu connue de Montreuil (Seine-Saint-Denis), qui accueille le Salon du livre jeunesse jusqu’au 4 décembre. La ville est la deuxième de France derrière Paris au nombre de maisons d’édition indépendantes, proportionnellement au nombre d’habitants. Terre historiquement ancrée à gauche, Montreuil attire les âmes créatives qui cherchent à s’éloigner, mais pas trop, de la capitale.« Il y a encore quinze ans, la ville affichait un prix de l’immobilier imbattable, ce qui en faisait un pôle d’attraction fort pour les professions créatives et intellectuelles précaires : plasticiens, graphistes, écrivains, illustrateurs… », relève Marianne Zuzula, éditrice chez La Ville Brûle, maison qu’elle a créée en 2009. Comme elle, 24 autres éditeurs indépendants se sont installés dans la cité montreuilloise, “dont la plupart bossent de chez eux et complètent leur salaire par un autre métier”, précise Marianne Zuzula. La Ville Brûle, dont le catalogue est plutôt généraliste, édite en majorité des auteurs du 93. “Ce n’est pas un engagement chauvin, c’est juste qu’ils sont très bons !”, souligne l’éditrice.

Les écrivains locaux sont d’ailleurs largement valorisés par la municipalité. “Le directeur des bibliothèques de Montreuil est un soutien hors pair et Alexie Lorca, l’adjointe au maire à la culture, s’investit pleinement et porte chaque projet, alors que le livre, y’a clairement plus sexy comme objet culturel”, note Marianne Zuzula. Montreuil-sur-livres, dont c’était la 7ème édition cette année, a d’ailleurs perdu sa subvention départementale en raison du développement culturel de la ville déjà imposant. “Montreuil est tellement active que le service culturel du Département pourrait y passer tout son budget”, s’amuse Marianne Zuzula, fondatrice du festival.

 “Il y a une énergie particulière ici qui pousse les professions artistiques à s’installer. Nous sommes dans un gros village où tout le monde se connaît et où les élus sont accessibles”, témoigne Nicolas Norrito, éditeur pirate des éditions Libertalia, qui fêtent leurs 10 ans cette année et reflètent bien l’ADN rock’n roll et libertaire régnant toujours sur la ville. Libertaire mais pas sectaire, Libertalia possède une centaine de titres à son compteur. “La culture pirate possède un double imaginaire. Littéraire d’abord, avec les textes de Daniel Defoe (auteur de Robinson Crusoé, Ndlr), et politique car les pirates furent les premiers bandits sociaux. Un vent d’égalitarisme soufflait déjà dans leurs voiles”, s’amuse Nicolas Norrito, prof à mi-temps dans un collège REP (Réseau d’éducation prioritaire) de Montreuil. Si physiquement la cadence est dure à tenir, le trio pirate va bientôt se consacrer à plein temps à faire tourner la maison. Un exemple concret de leur engagement local est la publication en juin dernier de L’Ecole du Peuple de Véronique Decker, directrice d’une école élémentaire de Bobigny. “C’est une figure très charismatique du 93, mobilisée depuis plus de trente ans pour l’école publique. Dans ce deuxième ouvrage, elle partage sa longue expérience sur l’enseignement en banlieue”, décrit Nicolas Norrito.

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Editeur indépendant, une vocation 

A Montreuil comme ailleurs, il faut être fou ou insomniaque pour espérer bien vivre comme éditeur ou libraire  indépendant. Car l’économie du livre est très tendue. Il faut payer l’auteur, qui perçoit uniquement 10% du prix de vente, l’imprimeur, le graphiste, le relecteur, le diffuseur, le distributeur, le libraire et in fine l’éditeur en fonction du bénéfice restant. De plus, il faut faire face aux géants de la vente en ligne. “On ne communique pas assez sur le prix unique du livre, les gens restent persuadés qu’ils paient moins cher sur Amazon. C’est lui notre premier libraire”, rappelle Marianne Zuzula. 

Sur les 25 maisons d’édition indépendantes de Montreuil, seulement deux peuvent se rémunérer à temps plein : Les Fourmis Rouges et Le Temps des Cerises. « Après 25 ans dans l’édition jeunesse, je me suis retrouvée au chômage. J’ai été hésitante à ouvrir ma propre maison car je savais l’investissement que cela impliquait. Depuis 2013, mon associée Brune et moi-même publions une quinzaine de livres pour enfants par an. Il y a tellement d’auteurs et d’illustrateurs fantastiques à soutenir ; il fallait que ça marche ! », s’enthousiasme Valérie Cussaguet, éditrice des Fourmis Rouges.

Pas de quoi chômer donc et à Montreuil, le catalogue est fourni. On trouve de la BD chez Les Rêveurs, des ouvrages plus cérébraux chez Matière, des textes engagés chez L’Insomniaque ou Libertalia, des livres d’art chez B42, et même le plus grand éditeur français de théâtre avec Les éditions théâtrales. Sans parler des plus petits éditeurs qui sortent aussi quelques précieuses pépites.

Une production qui ne pourraient pas exister sans l’appui des librairies indépendantes. Les libraires du 93 se sont d’ailleurs fédérés afin de soutenir collectivement les éditeurs de leur territoire. « Il serait possible d’ouvrir une librairie rien qu’avec les productions montreuilloises ! », constate Amanda Spiegel, à la tête de la librairie Folies d’encre ouverte en 1981 à Montreuil. Si le métier a beaucoup changé en 40 ans, les conditions d’exercice restent compliquées. « Même un libraire avec quinze ans d’expérience est souvent payé au SMIC alors qu’il passe sa journée en boutique puis sa soirée plongé dans les bouquins”, déplore Marianne Zuzula. Heureusement, il y a la reconnaissance  témoignée par les lecteurs. « L’amour porté par les habitants à Folies d’Encre est énorme et nous a permis de ne pas baisser les bras dans les périodes de crise », assure Amanda Spiegel. Vivre d’amour et de lectures fraîches, tout un roman. 

Infos pratiques :  Le Salon du livre et de la jeunesse de Montreuil, jusqu’au 4 décembre. Espace Paris-Est-Montreuil, 128 rue de Paris, Montreuil (93). Vendredi 1er décembre de 9h à 21h30 (gratuit pour tous), samedi de 9h à 20h, dimanche de 10h à 19h et lundi de 9h à 18h. Tarifs : gratuit pour les moins de 18 ans, 5€ sur place / offre Internet : 5€ avec en cadeau un chèque lire de 4€ à dépenser sur place. Plus d’infos sur slpjplus.fr

Librairie Folies d'encre à Montreuil / © Nicolas Moulard
Librairie Folies d’encre à Montreuil / © Nicolas Moulard

 

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