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Quand le sport voit rouge

A l’occasion du Festival international du film sportif, qui s’ouvre ce 9 décembre à Saint-Denis (93), Nicolas Kssis, historien et auteur de "La FSGT, du sport rouge au sport populaire", revient avec nous sur les liens qui unissent le sport ouvrier et la banlieue, d’hier à aujourd’hui.

Qu’entend-on par « sport ouvrier » ?

Nicolas Kssis, aka @Martov : Le sport ouvrier, c’est d’abord le sport pratiqué par les ouvriers. Cette notion est née au début du XXe siècle, à une époque où il existait aussi un sport catholique, un sport laïc… Le premier club ouvrier est ainsi né en 1907, fondé par un journaliste sportif du quotidien l’Humanité. C’est avant tout l’idée d’un sport populaire. Pas tant par le nombre de licenciés ou de personnes qu’il touche que par les valeurs qu’il véhicule : un engagement fort et un militantisme qui doit permettre de développer la pratique du sport parmi un public qui n’y a pas forcément accès. On trouve aussi l’idée de la mixité, l’ouverture à l’international, etc. La notion a ensuite évolué, on a parlé de sport « socialiste », puis de « sport populaire », qui est encore le terme employé aujourd’hui.

Les liens entre le sport populaire et la banlieue ouvrière semblent donc naturels…

Effectivement, il existe des liens très forts entre le sport ouvrier et ce que l’on a appelé la banlieue rouge en particulier. Les plus gros clubs ouvriers se sont développés entre autres dans des villes comme Ivry, Vitry, Champigny, Montreuil, avec l’appui des municipalités communistes. Elles ont développé les activités dans les quartiers, avec une vision politique du sport dans la cité. A partir de 1934, ces clubs se sont structurés autour de la fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), proche du Front populaire, et dont on fête les 80 ans cette année. Toutefois, le sport populaire n’est plus exclusivement réservé à la banlieue rouge : Paris compte un très gros comité FSGT aujourd’hui, de même que des villes comme Marseille ou Nice, pas spécialement connues pour être de gauche.

Le déclin de la « banlieue rouge » a-t-il eu pour corolaire un déclin du sport populaire ?

En termes de licenciés, la FSGT constate plutôt des courbes d’effectifs en hausse ces dernières années. Il y a une culture militante, des capacités d’adaptation, qui font qu’aujourd’hui les clubs sont encore très actifs, en particulier dans le football, mais aussi dans d’autres sports moins populaires comme l’escalade, par exemple. Le véritable souci pour le développement du sport en banlieue de nos jours vient plutôt de l’incertitude sur les financements des politiques sportives par les pouvoirs publics. L’Etat a récemment diminué son intervention par le biais du Centre national pour le développement du sport (CNDS), qui a réduit ses subventions. Dans le même temps, la réforme territoriale laisse planer l’incertitude sur le financement de ce service public par les collectivités locales : qui va payer quoi ? A l’heure actuelle, les clubs manquent de moyens humains, ont des difficultés pour former des bénévoles… Et il y a un réel souci en termes d’équipements.

C’est-à-dire ?

Il n’y en a clairement pas assez en banlieue, où le ratio entre le nombre de pratiquants et le nombre d’équipements sportifs est faible, ce qui est démontré par toutes les études sur le sujet [1]. Il y a aussi un souci de diversité de ces équipements, et enfin un problème quant à leur accessibilité. Cela fait craindre une réappropriation de l’offre sportive par le secteur marchand : c’est déjà le cas en particulier dans le football, avec l’émergence du football en salle payant, à des tarifs qui interrogent sur la capacité d’accès de tous à la pratique sportive. Cela pose un réel souci en termes d’égalité des territoires et de dégradation du service public.

La banlieue est un lieu de pratique sportive, mais elle se veut aussi un espace de réflexion sur le sport : c’est en tout cas l’ambition de ce premier Festival du film sportif

Oui, et c’est assez symbolique que cela se déroule en Seine-Saint-Denis, un département éminemment sportif. L’idée est de montrer que le sport peut être un objet de culture, que ce ne sont pas deux sphères indépendantes. Le cinéma a produit beaucoup de films sur le sport, même si tout n’est pas de qualité, et bien que certains sports s’y prêtent plus que d’autres, comme la boxe par exemple. Mais la programmation est riche, avec de beaux films, et un superbe documentaire sur les « Olympiades oubliées de Barcelone en 1936 », contre-point des JO de Berlin par exemple. C’est aussi l’occasion de débattre après les projections : une façon de concevoir le sport comme un outil d’éducation populaire.

[1] Lire par exemple cette étude sur les équipements dans les Zones urbaines sensibles (Zus)