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Le jeu de paume is not dead

Eric Delloye, maître paumier de la salle du jeu de paume du château de Fontainebleau (77) / © Steve Stillman
Eric Delloye, maître paumier de la salle du jeu de paume du château de Fontainebleau / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Bien avant Nadal et Thiem, d'autres se sont illustrés raquette en main dans les nombreuses salles de jeu de paume de Paris et d'ailleurs. Il n'en reste plus que deux encore en activité dans l'Hexagone, dont une mythique au château de Fontainebleau.

Article paru le 13 juillet 2016

On pensait l’avoir paumé. Perdu à jamais dans les oubliettes du sport. Pourtant, le jeu de paume ne s’est pas complétement résigné à passer la main à son rejeton, le tennis. Dans une aile du château de Fontainebleau (Seine-et-Marne), sur le court édifié par un certain Henri IV, ils sont quelques passionnés à avoir fait le serment solennel de ne jamais se séparer jusqu’à ce que le premier sport de raquette au monde ne renaisse de ses cendres. Eric Delloye est de ceux-ci. Sacré champion de France l’an dernier à 35 ans, le Bellifontain à la belle gueule a fait connaissance avec la discipline au cours de ses années lycée. «Je suis musicien et j’ai rencontré par hasard à une fête de la musique celui qui gérait la salle à l’époque. C’est lui qui m’a tout appris».

En 2008, alors qu’il mène une carrière de batteur professionnel, on lui propose de donner des cours en attendant qu’un nouveau prof soit recruté. Celui-ci ne viendra jamais. Eric décide donc de troquer les baguettes contre la raquette, devenant ainsi le maître paumier de la plus grande salle de jeu de paume au monde. Une salle chargée d’histoire. A part Henri IV, on compte parmi les anciens joueurs ayant suer entre ses murs Louis XIV et Napoléon. Un sport qui n’a pourtant pas toujours été tendre avec nos monarques, comme nous le conte Eric. Louis X le Hutin est passé de vie à trépas à l’issue d’une partie après avoir bu trop froid tandis que Charles VIII en a fini avec la vie en se heurtant violemment le front à un linteau de pierre en allant assister à un match.

En grand ambassadeur de son art aujourd’hui millénaire, notre maître paumier est intarissable et connaît à peu près autant d’anecdotes sur le jeu de paume que Jean-Paul Ollivier sur le vélo. Vous apprendrez en l’écoutant que de nombreuses expressions célèbres de la langue française proviennent du langage des paumistes (le nom donné aux joueurs de jeu de paume). Parmi elles, «prendre la balle au bond», qui signifie jouer la balle de volée. Autre exemple, «amuser la galerie», la galerie étant l’endroit le long du court où s’installent les spectacteurs. Le terme «tripot» quant à lui fait référence à la salle de jeu de paume, qui s’est transformée au fil du temps en lieu de paris plus ou moins truqués. «Qui va à la chasse perd sa place» est une phase du jeu où le serveur, réputé en situation d’avantage, doit céder sa place à son adversaire. Enfin «jeu de main, jeu de vilain», qui rappelle le temps où les raquettes ont fait leur apparition, en 1505. Un privilège que seuls les nobles pouvaient s’offrir, les «vilains» devant quant à eux se contenter de leurs mains.

A lire : L’histoire de la salle du jeu de Paume de Fontainebleau

Salle du jeu de paume du château de Fontainebleau / © Steve Stillman
Salle du jeu de paume du château de Fontainebleau / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

 

A peine 200 joueurs dans le Grand Paris d’aujourd’hui

Pareille discrimination n’a bien sûr plus cours à présent. Inutile de posséder du sang bleu pour avoir droit à une raquette. Au contraire. Eric est à la recherche de sang neuf. «A l’heure actuelle, nous sommes 90 joueurs à Fontainebleau. Il y en a également une centaine dans un club à Paris. Ce sont les deux seuls endroits où jouer au jeu de paume en France aujourd’hui». Loin, très loin, des 250 salles que comptait Paris au XVIe siècle et qui faisait dire à Sir Robert Dallington en 1604 « les Français naissent une raquette à la main ». Quatre siècles plus tard, la remarque est toujours vraie, en témoigne le million de licenciés au sein de la Fédération française de tennis, mais la raquette a changé de morphologie.

Contrairement à l’outil de travail de Federer et consorts, la raquette de jeu de paume a le tamis légèrement courbé, pour parer aux rebonds au ras des pâquerettes, et est intolérante au lift. Ce n’est d’ailleurs pas la seule différence avec le tennis. Il faut certes faire passer une balle par-dessus un filet. «Mais elle peut rebondir deux fois sans qu’il y ait point, explique Eric. On parle de chasse. Le point est en sursis et le receveur prend la place du serveur le temps de rejouer la balle ». A part ça, comme le stipulent les règles inchangées depuis une ordonnance royale de 1592, les joueurs ont l’autorisation de se servir des murs. «Ils ont aussi la possibilité de viser trois cibles – la galerie du dedans, la grille, la galerie des clochettes – qui leur permettent de marquer des points gagnants. La stratégie est ce que j’aime le plus dans ce sport. Elle est plus importante que le physique. Durant une partie, on cogite autant que pendant une partie d’échec».

Panier de balles faites maison / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
Panier de balles faites maison / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

«40-15 pour la grille en passant»

Enfin côté score, le système de comptage est le même qu’au tennis. Il faut quatre points pour gagner un jeu, six jeux pour gagner un set et deux ou trois sets pour gagner un match. Toutefois, l’énoncé du score peut comporter quelques subtilités de langage et offrir des formulations chatoyantes du type « 40-15 pour la grille en passant, chasse dernière la gagne de quatre ». Tout un poème dont Eric épargne l’apprentissage aux débutants, qu’il dispense également de venir tout de blanc vêtus comme l’exige la tradition. « L’idée est vraiment de promouvoir ce sport auprès du plus grand nombre pour éviter qu’il meurt. Nous sommes donc assez souples avec l’étiquette pour ne pas perpétuer l’idée d’une discipline élitiste. Nous ne pouvons de toutes façons compter que sur nous-mêmes. Nos soutiens sont très peu nombreux et la Fédération de tennis ne nous aide quasiment pas. Du coup, pour gagner en notoriété, je travaille sur un projet de court mobile avec un lycée professionnel de La Rochette (Seine-et-Marne) afin que nous puissions aller à la rencontre du public. Nous sommes actuellement en recherche de financement. Il nous faut récolter 190.000 euros ». Soit moins de 10% des gains d’Andy Murray à Wimbledon. Si quelqu’un peut lui passer le message…

Initiation au jeu de paume sur le court couvert du château de Fontainebleau avec Eric Delloye, maître paumier. Tarif : séance d’1h15 à 25 euros pour une ou deux personnes. Réservation sur ericdelloye@wanadoo.fr ou au 06 16 55 51 89.

 

A lire : Souvenir d’un city break en Transilien à Fontainebleau