Société
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Les randonneurs mettent le pied sur les villes

La randonnée n'est pas cantonnée aux chemins de terre. Aujourd'hui, les marcheurs sont de plus en plus nombreux à battre le pavé pour partir à la découverte des moindres recoins des villes.

Tour d'horizon(s), le sentier panoramique du Grand Paris - Vue de la Butte d'Orgemont (95) © Marie Genel

L’aventure est au coin de la rue. Ce dicton, ils sont de plus en plus de marcheurs de part et d’autre du périph’ à en faire leur mantra. Contrairement aux habitués des sentiers de grande randonnée, rien ne distingue ces randonneurs urbains du reste de la foule. Ils n’ont bien souvent ni grosses chaussures ni bâtons. Certains, à l’image des membres du Voyage métropolitain, trouvent leur inspiration à travers l’oeuvre de Marcel Proust qui écrit dans A la recherche du temps perdu que « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux. » Alors chaque mois depuis maintenant trois ans, ces spécialistes de la métropole du Grand Paris organisent des excursions de 15 à 20 kms dans des lieux méconnus de la grande couronne. « Les voyageurs nous disent qu’ils aiment marcher avec nous parce que nous ne sommes justement pas des randonneurs mais des explorateurs. On va dans des lieux où ils n’iraient jamais autrement», nous expliquait il y a deux ans Léa Donguy, cofondatrice de l’association et doctorante en géographie de l’art. 

En février, le Voyage métropolitain s’est associé à trois autres associations, Sentiers Métropolitains, A travers Paris et La Révolution de Paris, afin de mener à bien un projet de Sentier métropolitain du Grand Paris. Ce circuit de 500 kilomètres, qui verra le jour en 2020, s’inspire du GR1, une boucle balisée il y a 70 ans autour de Paris. Jusqu’à la fin de l’année, des repérages publics sont au programme afin d’arrêter l’itinéraire. Les concepteurs sont tous convaincus d’une chose : l’appropriation d’un territoire comme le Grand Paris passe par une exploration pédestre. “Il faut expérimenter avec son corps l’échelle de la métropole”, affirme Baptiste Lanaspeze, l’une des têtes pensantes de ce sentier et qui fut le créateur du GR2013 de Marseille. A en juger par le taux de remplissage des repérages organisés ces trois derniers mois, ces expériences pédestres font de plus en plus d’adeptes.  

Tour des panoramas du Grand Paris, Issy / © Marie Genel

Marcher pour faire tomber le périph

“Je commence à me convaincre que les gens sont en recherche d’authenticité. Ils veulent partager des moments plus intimes avec les habitants ou les lieux qu’ils visitent, être physiquement confrontés aux réalités des territoires traversés,” témoigne Jean-Philippe Trigla, fondateur de Vitry’N Urbaine, qui propose des balades pour partir à la découverte du street art à Vitry,  devenue l’une des références en la matière ces dernières années. Grande nouveauté, l’association conçoit désormais avec Campus urbain des ateliers pour permettre au public de rencontrer les artistes à l’issue des visites. Le prochain est programmé le 29 avril en compagnie du graffeur jeanjerome. Une fois passé en revue les différentes techniques que sont le pochoir, le bombing et le marqueur, les participants se lanceront dans la réalisation d’une œuvre au format 22×27 cm avec laquelle ils repartiront sous le bras. Difficile de faire mieux comme souvenir de voyage.

A l’instar de Vitry’N urbaine, Bénédicte et Laurent, tous les deux cousins, ont créé Fresh Street Art Tour afin de valoriser le patrimoine street art parisien. La mixité du public est quelque chose qui les a tout de suite étonnés. “Les participants sont tout autant des amateurs d’art avec un grand « A » que des novices souhaitant  apprendre les codes. Certains sont des marcheurs aguerris mais nombreux sont les promeneurs du dimanche », constatent-ils. A les écouter, le street art sert de prétexte pour sortir des sentiers battus de la capitale et abolir la frontière entre Paris et sa banlieue. “Les marcheurs que nous accompagnons disent ensuite être plus curieux et attentifs aux recoins de la ville. ”

Balade avec Fresh Street Art Tour dans le 13e / © Steve Stillman

Car on peut connaître un territoire depuis longtemps et continuer à être surpris. C’est ce qui est arrivé entre Paris et Nicolas Le Goff, l’auteur du guide L’Autre Paris (Ed.Parigramme), sorti en février dernier. Pour l’ancien responsable des relations internationales du Centquatre, qui s’est affranchi du périph’ en proposant 10 itinéraires dans l’Est parisien, il s’agissait de rompre avec l’image de carte postale qui colle aux basques de la capitale. « On fait trop souvent le procès à Paris d’être une ville-musée, figée dans ses élégantes avenues haussmanniennes, ses monuments et ses beaux quartiers, comme coincée dans sa parure de plus belle ville du monde, analyse Nicolas. J’ai donc voulu proposer des itinéraires qui débutent là où, généralement, les touristes s’arrêtent pour découvrir des quartiers longtemps considérés comme excentrés et où vibre désormais le coeur de la ville”. Cette connaissance du terrain, il la partage régulièrement avec des groupes de marcheurs constitués entre autres au gré de ses dédicaces dans les librairies. Des balades qui n’ont rien à voir avec les traditionnelles visites pilotées par les guides-conférenciers. Ici, il s’agit autant de faire connaissance avec les quartiers traversés qu’avec ses compagnons de route. 

« La marche crée de l’attachement aux villes »

Cette curiosité pour la ville et les gens qui y vivent reflète bien ausi l’état d’esprit des marches d’A Travers Paris, qui sillonne le Grand Paris depuis 2009. Cette année-là, une poignée d’étudiants – devenus depuis architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues, géographes ou historiens de l’art – se lancent dans l’organisation de promenades le week-end :  la Goutte d’Or, l’échangeur autoroutier de Bagnolet, le marché de Rungis, le nouveau Montparnasse, l’île Seguin et le Boulogne de Jean Nouvel, Pantin… « Nos promenades de deux heures découlent toujours d’une réflexion construite autour d’un fil directeur: éclairage urbain, participation citoyenne, reconversion industrielle, enceintes parisiennes… », témoigne Lucile Piveteau, fraîchement diplômée d’un Master Stratégies territoriales et urbaines obtenu à Science Po. « La marche est un formidable moyen de créer de l’attachement aux villes et aux espaces que l’on traverse, estime Jens Denissen, du Voyage métropolitain. C’est aussi un outil d’aménagement. Aménager, ce n’est pas seulement construire des routes, c’est aussi se bâtir une cartographie mentale qui décuple les possibilités de bouger. Sans partir loin, on peut voyager et lâcher prise avec son quotidien. »

Se bâtir une autre cartographie mentale de la culture dans le Grand Paris, c’est ce que propose le réseau TRAM avec ses RandoTram, des marches organisées régulièrement pour relier des lieux d’art contemporain situés à Paris et en banlieue. “On souhaite prouver qu’il n’y a pas d’opposition entre Paris et le reste de l’Île-de-France. A travers nos balades, nous cherchons à rompre avec la frontière psychologique incarnée par le périph”, souligne Julie Crusot, membre du réseau.

Marche le long du canal de l'Ourcq avec Nicolas Le Goff, auteur du guide L'Autre Paris / © Steve Stillman

Rompre avec l’urgence du quotidien

A en juger par ces différentes expériences, marcher serait donc une philosophie. En 2009, le philosophe Frédéric Gros en a d’ailleurs fait le titre d’un livre (Ed. Carnets Nord) et parle de la marche comme d’une façon de contrecarrer l’immédiateté qui imprime notre quotidien d’urbains pressés. « On finit, dans nos vies ultramodernes, par n’être plus présent à rien, par n’avoir plus qu’un écran comme interlocuteur. Nous sommes des connectés permanents. Ce qui fait l’actualité critique de la marche, c’est qu’elle nous fait ressentir la déconnexion comme une délivrance”, confiait-il dans une inteview au Monde. Et pour ceux qui aurait besoin d’un argument supplémentaire, rappelons le conseil de Flaubert : “Toujours faire une promenade après dîner, ça facilite la digestion.”

 

[SÉLECTION] Les prochaines randos urbaines

 

A Travers Paris

Samedi 22 avril, « La Bièvre – Façonnage d’un nouveau quartier par l’apparente absence de sa rivière ». Dimanche 23 avril, « Canal de l’Ourcq – La reconversion industrielle différenciée de Paris à Pantin ». Samedi 29 avril, « Entre ciel et Nanterre – une belle grande idée face au réel ». Plus d’infos sur www.atraversparis.com

 

L’Autre Paris

Samedi 22 avril de 15h à 17h30 dans le 20e arrondissement. Suivie d’une dédicace du guide L’Autre Paris à la librairie du Merle Mocqueur. Plus d’infos sur Facebook. Réservation via lemerlebagnolet@gmail.com ou au 01 40 09 08 80

 

Fresh Street Art Tour

Dimanche 23 avril, Belleville-Ménilmontant à 10h30. Dimanche 23 avril, Butte aux cailles-Place d’Italie à 14h30. Pour retrouver les autres dates déjà prévues, rendez-vous sur la page Facebook de l’association. Plus d’infos également sur www.freshstreetarttourparis.com

 

Vitry’n Urbaine

Samedi 29 avril, balade découverte + atelier graffiti avec l’artiste jeanjerome. Samedi 13 mai, première balade traversante Paris-Vitry, organisée avec Fresh Street Art Tour Paris. Plus d’infos sur la page Facebook de Vitry’N Urbaine

 

Le Voyage Métropolitain

Samedi 20 mai, périple hors-série à la découverte des chemins de traverse au coeur de Rosny-Bois-Perrier (93), 16 km le long d’une autoroute fantôme, conçue mais jamais construite. Vendredi 16 et samedi 17, de Savigny-sur-Orge à Villers-sur-Orge (avec possible nuitée le vendredi). Samedi 8 juillet, de Saint-Quentin-en-Yvelines à Verrières-Maurepas. Réservations sur levoyagemetropolitain@gmail.com. Plus d’infos sur www.levoyagemetropolitain.com

 

Réseau TRAM

Samedi 20 mai, RandoTram de 11h à 18h. Parcours du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris jusqu’au Beffroi de Montrouge à l’occasion du 62ème Salon d’art de Montrouge. Cette randonnée d’environ 15  km passera également par le bois de Boulogne. Tarif : 5€, comprenant les visites des expos. Plus d’infos et réservations sur www.tram-idf.fr

 

Fédération Française de Randonnée

Samedi 24 juin, Paris Pas à Pas de 9h30 à 17h30. Plusieurs départs possibles de Porte de la Villette, Porte Dorée, Porte de Vanves, Porte Maillot. Plus d’infos sur www.rando-paris.org