Société
|

« Un film sur une cité miséreuse a plus de chances d’être aidé qu’un film offrant une autre image de la banlieue »

Le cinéaste originaire d'Ivry Adnane Tragha répond aux questions du Medialab 93 qui organise ce 6 juin un débat sur le thème "Comment braquer le cinéma français ? (Sans haine et sans violence)".

Le réalisateur Adnane Tragha / © David Jouary

Alors que le festival de cinéma Côté Court débute mercredi 7 juin à Pantin (93), le Medialab 93, incubateur de médias locaux en Seine-Saint-Denis, organise un débat ce 6 juin aux Magasins généraux à Pantin sur le thème « Comment braquer le cinéma français ? (Sans haine et sans violence) ». Vous pouvez y asister en vous inscrivant via cette adresse wael.sghaier@lemedialab93.com ou en vous connectant à la retransmission en mondovision sur notre page Facebook à partir de 19h. En attendant, le Medialab s’est entretenu avec Adnane Tragha, cinéaste originaire d’Ivry (94) et réalisateur de 600 euros, long-métrage autoproduit et autodistribué sorti en salle l’an dernier. 

Comment se lance-t-on dans le cinéma  sans passer par une école ?

Adnane Tragha : Personnellement pas par passion du cinéma, mais parce que j’avais des choses à dire. Je voulais donner mon point de vue sur les quartiers populaires, notamment par rapport à ce que je voyais à la fin des années 90 où il y avait très peu de choses sur ce thème. J’étais en licence d’économie au moment où j’ai écrit mon premier scénario, je n’avais pas de caméra, je ne connaissais personne dans ce milieu. Arrivé en DEA en 2001 je choisis comme sujet de mémoire la diffusion de films sur internet. A l’époque, il n’y avait pas encore YouTube. Mon raisonnement était déjà de penser à une alternative de diffusion du cinéma. Puis avec mon frère on a monté « Pass Pass La Cam’ », une asso audiovisuelle et j’ai passé le concours d’instit, en me disant que ça permettrait d’avoir du temps pour travailler des projets à côté. J’ai été prof pendant trois ans. Pendant cette période j’ai fait mes premiers courts, dont Cohérence Zéro, pour lequel j’ai réussi à avoir un financement de Défi Jeunes, du FASILD (l’ancêtre du CGET) et de la ville d’Ivry-sur-seine. Ce qui m’a permis non seulement de produire ce film mais aussi de m’acheter du matériel. J’arrive sur MySpace en 2006, le premier réseau social qui permet de fidéliser un public et je lance avec deux potes, la série « Passe Passe Le Mic« . Ce qui nous amène à signer deux plus tard avec Luc Besson avec qui on monte une boîte. C’est un peu comme ça que je me suis retrouvé à faire du cinéma, en développant mes projets de façon indépendante sans attendre de trouver un producteur. Pas en faisant une école spécialisée. Je m’étais pourtant inscrit au concours de la Femis au début des années 2000. A l’époque, j’avais envie de filmer, de raconter des choses avec des images. J’ai fait des études, j’ai un bac+5 en économie, je sais monter des dossiers, et je me retrouve à devoir proposer quelque chose autour d’un thème comme « la boîte ». Or je n’étais pas dans un imaginaire de ce type-là. J’avais plutôt un propos social et politique que je voulais mettre en images et à l’époque, je n’étais pas prêt à répondre à un examen comme ça. Ce type de concours n’est pas adapté à tout le monde. Ils veulent recruter des jeunes créatifs versés dans l’abstrait. Pourtant, il y en a beaucoup d’autres qui pourraient être de bons cinéastes et à qui un concours de ce type ne peut absolument pas parler. 


Que pensez-vous de l’état du cinéma français contemporain   ?


J’ai eu une boite pendant 6 ans avec Luc Besson, j’ai donc pu voir un peu comment ça se passe. En gros, si tu acceptes de rentrer dans un certain moule, en faisant par exemple des films qui donnent selon moi une image négative des banlieusards mais qui sont conformes à l’imaginaire collectif, il y a moyen de faire son trou plus facilement. Si demain je propose un film sur une jeune maghrébine voilée de force dans une cité miséreuse et qu’il est correctement écrit, j’aurai moins de problèmes à obtenir des financements.  Le gros souci vient d’ailleurs, pour beaucoup des commissions d’aide du CNC, des collectivités territoriales, etc. Il y a très clairement des thématiques qui ne les intéressent pas.

Comment s’en sort-on alors   ?

J’ai choisi une voie différente, celle de l’indépendance totale. En quinze ans, je n’ai jamais obtenu un centime du CNC. Ce qui est très problématique d’ailleurs car lorsque l’on n’est pas aidé en amont, on n’est pas aidé non plus en aval. Par exemple, ayant autoproduit 600 euros, je n’avais pas les moyens de rémunérer tout le monde, ce qui m’empêche d’obtenir l’agrément CNC et pour le coup de pouvoir bénéficier du soutien automatique accordé à toute production sortie en salles. Mais ça ne me fera pas déroger à ma ligne de conduite. Je préfère clairement faire les films que je veux faire et tant pis si je n’obtiens pas les financements, ça ne m’empêchera pas de continuer à tourner des films. Pour sortir 600 euros en salle, j’ai dû ainsi créer «  Les Films Qui Causent  », ma propre société de distribution avec un ami.

 

 

Débat « Comment braquer le cinéma français ? (Sans haine et sans violence), ce 6 juin de 19h à 21h aux Magasins généraux, 1 rue de l’ancien canal à Pantin (93). Inscription gratuite et obligatoire via wael.sghaier@lemedialab93.com. Plus d’infos sur Facebook. Et si vous ne pouvez pas vous déplacer, connectez-vous au Facebook Live sur notre Facebook à 19h.