Société
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Bons baisers du 9-3

Tous les jours dimanche / © Manolo Mylonas
© Manolo Mylonas

Sa série de photos «Tous les jours dimanche» réalisée dans le 93 a fait les beaux jours du web. Rencontre avec le photographe Manolo Mylonas.

Manolo Mylonas donne rendez-vous sur ses terres séquano-dionysiennes. Celles qu’il a portraiturées avec une poésie qui râpe un peu la rétine dans sa série « Tous les jours dimanche » et qui s’exposent depuis quelques jours sur le web – et jusqu’à la fin de la semaine à Romainville – provoquant une vague de reprises, retweets, réactions. Manolo semble un peu dépassé. Les mails, les coups de fils n’arrêtent pas depuis la diffusion de son portfolio sur Ufunk.

Du Nouvel Obs à la presse féminine en passant par les walls Facebook, son travail n’en finit pas de susciter l’intérêt. Elle serait donc « bonne à photographier », cette Seine-Saint-Denis, en dehors d’un point de vue purement reportage ? En ce soir de septembre, il fait encore doux et le temps se prête à une interview en plein air. Elle se déroule à la terrasse d’un café au fond d’une petite rue des Lilas, doucement grignotée par la gentrification. Mais où quelques « dents creuses » continuent à faire de la résistance, des entrelacs d’herbes folles jaillissant de leurs portails rouillés.

Comment est née « Tous les jours dimanche », votre série photo réalisée en majeure partie en Seine-Saint-Denis ?

Manolo Mylonas : Elle part de plusieurs choses. Tout d’abord de la lecture du livre de François Maspero, « Les passagers du Roissy-Express ». Maspero y relate son voyage, à pied, le long de la ligne du RER B, de Roissy à St Rémy-les-Chevreuses. J’ai gardé de cette lecture des images très précises qui m’habitent : les lapins qui courent sur les sentiers le long des pistes d’atterrissage ; un maraîcher qui vend ses légumes au pied des cités à La Courneuve ; ces espaces urbains d’une complexité terrible et assez inadaptés à l’être humain. De cette « anarchitecture » naissaient plein de situations.

 

Tous les jours dimanche / © Manolo Mylonas
© Manolo Mylonas

 

À cette lecture se sont ajoutées d’autres images, de cinéma notamment : Mastroianni s’échappant d’un embouteillage dans le « 8 ½ » de Fellini. Ou le comédien Toto sur une bretelle d’autoroute inachevée au tout début de « Des oiseaux petits et gros » de Pasolini. Et puis aussi ces dessins de Sempé avec ces personnages comme littéralement happés par la ville. Dans tous ces cas de figure, je retrouvais des situations avec un fort contraste entre un décor et un « personnage ». Ce sont ces paysages traversés par des scènes de dingue que j’ai voulu retrouver.

Comment avez-vous procédé ? Tout était-il préparé ou vous êtes-vous laissé guider au gré de vos déambulations dans le département ?

Il y a des deux : de la préparation et de l’improvisation. Mais, en un sens, toutes ces images naissent de l’inattendu. Ce sont des instantanés réalisés lors de mes passages à scooter ou à pieds. Par exemple, le Rom en fauteuil roulant sur l’autoroute, je l’ai prise alors que je me rendais chez Kiloutou. Il y a aussi des rendez-vous manqués : par exemple, j’ai beaucoup tourné autour de Villepinte sans que jamais rien ne s’impose. À Bobigny, je me suis laissé emmener par un jeune adepte du Parkour à la cité Karl Marx. Mais il ne s’est rien passé, j’avais l’impression de sortir de mon sujet…

Quand se passait-il quelque chose, alors ?

Quand je trouvais un équilibre entre ces espaces urbains d’une folle densité et des lieux qui semblaient comme en jachère. Dans ces espaces que je considérais avec un certain recul, surgissait soudain une « animation » presque incongrue : une piscine, un plan d’eau, une maison, un pêcheur. Mais soudain, la figure du pêcheur était rattrapée par une décharge qu’on aperçoit dans le cadre. C’est de montrer cette étrangeté qui me plaisait.

 

Montreuil / © Manolo Mylonas
© Manolo Mylonas

 

En regardant cette série, on pense au travail de Depardon, « La France », avec ces cadres très larges…

Effectivement, j’ai cette logique de cadrage très large. Cela crée un espace où l’humain – plutôt absent pour le coup, dans la série de Depardon – se dilue. Et en même temps, cet espace de perdition peut s’envisager comme un endroit de liberté, un lieu à s’approprier. De plus, avec ce cadre très large, je ne montre pas tout. En étant loin, je laisse des choses cachées. C’est au lecteur de continuer l’image…

Comment votre travail s’est-il retrouvé sur Ufunk ?

En appuyant sur un bouton ! Je participais à un concours avec cette série et je voulais inciter les gens à voter. J’ai regardé plusieurs sites et j’ai choisi d’envoyer un lien à Ufunk…

Comment vous expliquez-vous le succès de votre série sur le web ?

Je ne me l’explique pas…

Peut-être parce que vous montrez que la Seine-Saint-Denis peut avoir une dimension onirique… Un territoire où le rêve a droit de cité…

Je le conçois…

Ou parce que, depuis quelque temps, ce qui vient de banlieue devient hype ?

Je ne sais pas… C’est votre vision des choses…

N’empêche, n’avez-vous pas peur d’un effet « double-tranchant » ? Que votre série soit mal lue, interprétée comme une sorte de « folklore » du 9-3 ?

C’est le revers de la médaille, oui. Quand on dit que mon travail incarne le « quotidien » du département. Ou qu’un magazine féminin, pour en parler, le classe dans sa rubrique « C’est glam’ ». Effectivement, je n’ai pas envie qu’on rattache « Tous les jours dimanche » à une dimension « branchitude de la banlieue ».

Votre travail circule sur le Net mais j’imagine que cela ne vous rapporte pas d’argent. A l’heure où la question des droits se pose avec acuité pour les photographes, qu’en pensez-vous ?

Aujourd’hui, la presse papier a moins de poids mais elle est effectivement la seule à payer les photos. La force du buzz, c’est que le public le crée spontanément, mais il ne « récompense » pas les heures de travail et les kilomètres parcourus. En ce qui concerne « Tous les jours dimanche », mon but était avant tout de faire une expo. La notoriété suscitée par ce buzz va m’aider à rendre les choses possibles. Cet emballement constitue une belle fin à ce long – j’y travaille depuis 2009 –  projet personnel. J’ai eu beaucoup de retours.

Quels retours ?

Des choses drôles, touchantes. Révoltées aussi. Je suis tombé sur un homme qui, sur un blog disait en substance : « Ça fait 29 ans que j’habite le 93, je n’ai jamais vu ma banlieue comme ce type la montre. Qu’il aille se faire enculer avec son Photoshop ! » Eh bien, en un sens, je trouve ça juste. Sans doute, effectivement, cet homme n’a-t-il jamais vu sa Seine-Saint-Denis comme je la vois. C’est un regard, pas un reportage. Et puis c’est le principe même de la photo : jouer avec la magie du cadrage et de l’instant.