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« Avec 5.000 euros, j’ouvre un bar », ou l’histoire du Barrabouda à Cergy

Il y a quelques semaines nous interviouvions Lucas et Mathieu, porteurs d'un projet pour faire bouger les nuits cergyssoises, encore un peu ternes alors même que Cergy (95) accueille 30.000 étudiants chaque jour. Leur bar, le Barrabouda, est le genre de belles histoires qu'Enlarge your Paris aime relayer. Sauf qu'ici, la belle histoire a dû prendre fin avant que l'on publie notre papier. Le Barrabouda vient tout juste de mettre la clef sous la porte en raison d'une fermeture administrative décrétée pour cause de nuisances sonores. Une expérience qui vient rappeler la difficulté qu'ont parfois les lieux de nuit à exister à Paris, que ce soit intra ou extra-muros. En hommage toutefois à cette belle idée qu'est le Barrabouda, nous publions l'interviouve de Lucas et Mathieu qui, depuis l'annonce de leur fermeture sur Facebook, reçoivent de nombreux messages d'encouragements. Preuve que l'aventure n'est peut-être pas terminée...

Mathieu et Lucas, fondateurs du Barrabouda à Cergy / DR 

Mathieu, Lucas, vous avez ouvert le Barrabouda à Cergy. Racontez-nous cette aventure…

Mathieu : Tout s’est fait en quatre mois. Cela peut paraître court pour une ouverture de bar mais c’était très intense voire compliqué avec les travaux. Je suis parti d’un constat assez simple : je suis né et je vis à Cergy. Cergy est une ville très étudiante et j’ai l’impression que seuls les Cergyssois le savent. On y trouve quand même l’ESSEC, deuxième meilleure école de commerce de France, une des plus grosses facs d’Île-de-France, 5 ou 6 écoles d’ingénieurs mais seulement 2 bars. Trois pour être gentil. Les étudiants n’ont donc pas de lieu dédié pour boire des verres ou organiser des soirées. Il n’y a donc pas de nuit cergyssoise. Les étudiants préfèrent prendre le RER A pour aller passer la soirée à Paris. C’est dommage. Nous avons donc voulu remédier à cela.

Lucas : Tout a commencé en décembre l’an dernier. Mathieu a dit à la cantonade : « Avec 5.000€ je lance un bar, qui veut venir avec moi ?! » Je ne l’ai pas relancé sur le moment mais c’était une idée qui me trottait depuis longtemps dans la tête. J’ai donc appelé Mathieu quelques semaines après pour lui proposer de m’associer à lui.

Mathieu : Je souligne que Lucas est Parisien. Du genre Parisien Parisien ! Donc Cergy avant, il ne connaissait pas du tout. Quand il m’a appelé, au début, j’ai vraiment cru à une blague. Mais j’ai senti qu’il avait bien réfléchi et pesé le pour et le contre.

Lucas : J’ai senti le potentiel de Cergy et je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais. Nous sommes extrêmement soulagés d’être parvenus à ouvrir ce bar car nous sommes enfin passés de la théorie à la pratique. Nous avons beaucoup d’amis et de connaissances qui viennent nous voir et cela nous donne beaucoup de force pour la suite.

Combien de temps avez-vous mis pour trouver l’emplacement ?

Mathieu : Nous avons mis un petit mois. On a eu beaucoup de chance. J’ai trouvé l’annonce sur Le Bon Coin. J’ai appelé le propriétaire. On lui avait déjà fait 4 propositions pour des fast-foods. Il y en a déjà beaucoup à Cergy. Notre projet de bar lui a plu car il était beaucoup plus original.

Quel est le concept du Barrabouda ?

Mathieu : Le concept est simple : créer une ambiance cosy, jeune et décontractée, le tout en proposant des produits de qualité. Par exemple, nous avons des produits locaux comme la bière blanche, « La blonche ». Nous sommes le premier bar à Cergy à promouvoir les circuits courts. Dans ce même esprit, nous faisons travailler les restaurants à proximité comme par exemple la pizzeria pour laquelle nous faisons une offre pizza + bière. Cela nous permet d’attirer la clientèle étudiante qui n’a pas toujours les poches les plus profondes…

 

Le Barrabouda à Cergy / DR

 

Comment avez-vous communiqué ?

Mathieu : Nous avons en premier lieu beaucoup communiqué sur les réseaux sociaux puisque c’est là que notre cible principale se trouve. Ensuite, nous avons distribué beaucoup de flyers. La bonne nouvelle est que nous arrivons au bon moment : l’agglomération a pour projet de rénover le parvis de la préfecture et que de refaire à neuf le centre commercial des Trois fontaines. Dans 5 ans, ce quartier aura complètement changé de visage. L’idée est de recréer un centre-ville attractif avec des restaurants, des bars, des commerces de proximité…

Pourquoi un bar ?

Mathieu : Etant tous les deux très bons vivants avec Lucas, nous avons trouvé logique de créer un lieu dans lequel nous nous sentirions bien. Et puis, j’en avais assez de devoir aller à Paris le soir pour trouver des bars dignes de ce nom. D’autant que l’offre de transport se dégrade. Par ailleurs, 50% de la population de Cergy a moins de 30 ans. Il fallait faire en sorte que ces personnes ne se sentent pas « prises au piège ». Ce qui est bien aussi avec un bar, et bien que cela soit très prenant, c’est que cela nécessite moins de technique que dans un restaurant. Nous sommes tous les deux salariés à côté et cela aurait été impossible avec un service de restauration.

A quelles difficultés avez-vous été confrontés ?

Mathieu : Nous avons découvert que nous avions 2 tares : être jeunes (25 ans, Ndlr) et vouloir être entrepreneurs. Cela n’a pas été facile de convaincre les banques alors que nous sommes en CDI tous les deux à côté et en plus dans les métiers de la banque ! On nous a demandé plusieurs fois si on était vraiment certains de vouloir se lancer là-dedans. Nous avons pu hélas découvrir la lourdeur du temps administratif. Tout prend du temps. Entre le moment où on a l’idée et le moment où on la concrétise, il faut avoir une motivation et une endurance sans limite ! Heureusement que nous étions deux sinon, nous ne serions pas allés au bout. Nous avons heureusement aussi eu la chance d’avoir été financés par Initiative 95. Un conseil : il faut mettre en compétition plusieurs banques pour trouver l’offre qui vous correspond le plus, voire ne pas être dépendant d’une seule.

Racontez-nous un beau moment…

Mathieu : La première soirée est mon meilleur souvenir. J’ai ainsi pu voir que l’on était soutenu et que ce n’était pas juste un rêve. J’étais content de sortir de la théorie et enfin de voir l’aboutissement de notre projet.

Lucas : Pour ma part, je dirais que ça a été quand le commercial d’Heineken du 95 nous a encouragés en nous disant que c’était un très beau projet qui allait rencontrer le succès. Le fait de nous donner de la crédibilité m’a fait beaucoup de bien. Avoir pu monter ce projet à 25 ans et le vivre tous les jours me rend fier. Quoiqu’il arrive, je l’aurai fait.

Et votre vision de la banlieue maintenant ?

Lucas : A Paris, je constate que l’on perd progressivement la culture de quartier. A Cergy, on peut encore la sauver voire la développer.

Mathieu : Il était temps que l’on dynamise le parvis. La mixité sociale attendue avec l’installation de l’ESSEC à Cergy n’a pas eu lieu car les étudiants restent sur leur campus. Les chiffres sont accablants : seuls 2% des étudiants de l’ESSEC sont Cergyssois. Il faut donc créer cette mixité grâce à un bar, un lieu créatif qui a de vraies choses à proposer.

 

Voici le post publié sur Facebook le 27 novembre par Lucas et Mathieu pour annoncer la fermeture du Barrabouda. Un message qui leur vaut depuis de nombreuses déclarations d’amour :

 

Certains l’ont déjà remarqué, le Barrabouda fait désormais l’objet d’une fermeture administrative…de 3 mois. Vous lirez probablement la durée pour vous assurer que ce n’est pas une blague, de la même manière que nous lorsque l’on nous l’a notifié. La faute principalement aux nuisances sonores, décrétées de manière complètement arbitraire par les forces de l’ordre, parfois lassés des appels à répétition et d’une pertinence parfois douteuse de voisins mécontents. Car certains voisins (et pas forcément les plus concernés – 4ème étage oups -) ont vu tout de suite d’un mauvais œil l’arrivée d’un bar, à destination des jeunes, dans ce qui est censé être le centre ville d’une ville de 70.000 habitants, et qui accueille chaque jour 30.000 étudiants. Un centre-ville que certains se permettent même d’appeler Stalingrad tant le manque de vie (et les soucis existants depuis toujours qu’on a tenté de nous imputer) se fait sentir. Cela ne semble émouvoir personne.

Trois mois de fermeture condamnent le bar, qui ne peut se permettre de ne pas travailler autant de temps, et nous n’avons d’autre choix – et c’est ce que souhaitait probablement ceux qui l’ont acté – que de prématurément lui dire au revoir. La dynamique était telle qu’au vu des réactions de ceux déjà au courant, nous savons que nous faisons énormément de déçus. Et nous en sommes désolés, surtout si cela profitera au 10.000ème kebab de la ville… (no offense !). Ce sont les habitants qui font de leur ville ce qu’elle est, et au vu de l’attitude de certains, on peut légitimement s’inquiéter de la direction que la nôtre prend…
L’un de nos interlocuteurs chez les autorités avait conclu de manière assez choquante : « Ici, c’est Cergy, ce n’est pas Paris, c’est la banlieue ». Ne devrait-on justement pas aspirer à autre chose et changer les mentalités ?

A bientôt, pour de probables autres belles aventures,
La Team Barrabouda